Quels sont les enjeux de la votation sur le "Mantelerlass" du 9 juin 2024 ?

Loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables
15 mai 2024 par
Quels sont les enjeux de la votation sur le "Mantelerlass" du 9 juin 2024 ?
The Shifters Switzerland

Auteur.e.s : Antoine Giraldi, Claude Schaerer, Lucile Grandjean, Nicolas Preperier
Contributeurs:  Cédric Junillon, Jean-François Pochon, Pascal Kotté, Stéphane Brunner


Introduction

La majorité de l’énergie utilisée en Suisse est d’origine fossile (cf figure 1). Pour respecter les engagements de notre pays dans les traités internationaux (COP 21, accords de Paris) afin de limiter le changement climatique, il est impératif d’électrifier rapidement et massivement les usages (principalement la mobilité et le chauffage des bâtiments). Or notre pays n’est aujourd’hui déjà pas à même de satisfaire la demande électrique en hiver sans importer du courant beaucoup plus carboné que notre mix électrique national. D’autre part, dès 2025, les accords sur l’électricité que la Suisse a négociés avec l’Union Européenne (UE) arrivent à échéance et dès lors l’UE réservera sa production électrique pour ses membres. Les pays non-membres comme la Suisse ne pourront importer qu’un éventuel excédent. Finalement, les deux réacteurs nucléaires Beznau I (construit en 1969) et II (1971) pourraient être décommissionnés lorsqu’ils auront atteint les 60 ans de service.


Figure 1 Les carburants et les combustibles sont des dérivés du pétrole
 Carburants : utilisés pour les véhicules – Combustibles : huiles de chauffage 

Il est par conséquent nécessaire de mettre en place les conditions cadres pour augmenter l’approvisionnement de notre pays en électricité par des moyens de production indigènes, renouvelables et décarbonés.

Des modifications de l’ensemble du paquet de lois énergétiques sont cruciales et nécessitent un large consensus de la population pour atteindre les objectifs de résilience énergétique et de réduction de la dépendance aux énergies importées. C'est une stratégie qui permettra de tracer la trajectoire de la transition énergétique en Suisse jusqu'à l’horizon 2050.

Teneur de la nouvelle loi et son application

Les lois concernées et les ordonnances qui leurs sont liées [1], [2] constituent une base fondamentale pour accélérer la décarbonation du pays et pour atténuer les chocs systémiques que pourra produire le changement climatique, tout en en améliorant la résilience de la Suisse en termes d’approvisionnement en électricité.

Concrètement les principales avancées contenues dans cette loi et qui obtiennent un large consensus politique et scientifique sont les suivantes :

  • La loi pose un cadre légal pour les gestionnaires de réseaux afin de leur permettre d’assurer un approvisionnement électrique sûr pour les 10 à 15 années à venir.
  • Elle fixe des objectifs clairs de production d’électricité [3] et d’économie d’énergie en général et d’électricité en particulier. Il y a enfin un début de plan de transition chiffré et fixé dans le cadre légal qui obligera l’augmentation de la production indigène d’électricité par des énergies renouvelables [4] et à atteindre des gains d’efficacité de l’ordre de 2 TWh par an à l’horizon 2035 [5].
  • Le photovoltaïque ne produisant pas la nuit et peu l’hiver, les nouvelles dispositions légales permettront d’utiliser sa complémentarité avec l’éolien [6].
  •  Les droits démocratiques sont préservés car les recours contre des projets de renouvelables (photovoltaïque, éolien et biomasse) sont maintenus sauf pour les projets d’importance nationale ou en cas de pénurie imminente d’électricité. De plus, les procédures d’autorisation sont accélérées afin de raccourcir les délais de construction.
  • Les atteintes à l’environnement et aux paysages sont strictement encadrées. D’une part, les cantons sont astreints à élaborer un plan directeur cantonal qui doit minimiser les impacts paysagers, d’autre part la construction d’installations dans les biotopes d’importance nationale est interdite. Enfin, l’ordonnance sur l’énergie (OEne) garantit la protection de la biodiversité et du paysage sur les nouveaux sites d’installation.
  • La sobriété énergétique fait partie de ce paquet légal. Les distributeurs d’électricité doivent inciter leurs clients à réduire leur consommation. Ils peuvent appliquer une tarification dynamique afin d’amener leurs clients à ajuster leur consommation d’électricité en fonction de la charge du réseau. Ces tarifs dynamiques sont nécessaires pour une meilleure intégration des productions renouvelables décentralisées. [7]
  • La loi favorise davantage l’autoconsommation en élargissant les possibilités de Regroupements de Consommation Propre (RCP) et de Communautés Electriques Locales (CEL) [8] et en imposant aux distributeurs de mettre en place l’infrastructure nécessaire permettant ces partages efficaces d’énergie. Ces dispositions favoriseront aussi l’implication des citoyens et citoyennes à participer dans des échanges d’énergies produites au sein d’une zone et contribueront à décharger le réseau de distribution.
  • Une sécurité accrue grâce à la flexibilité des réserves hydroélectrique [9] permettra d’assurer un approvisionnement stable en hiver limitant ainsi les importations actuelles depuis les réseaux électriques voisins [10].
  • La loi ne prévoit aucun changement concernant la libéralisation du marché de l’électricité.

Cette loi pose les premiers jalons de l’accélération de la transition écologique et énergétique en s’appuyant sur le développement d’énergies décarbonées tout en garantissant l’approvisionnement en électricité de la Suisse pour la saison hivernale.

Argumentaire des opposants à la loi

Les arguments des opposants à la loi se concentrent sur plusieurs craintes : une forte atteinte à la biodiversité, la peur d’une perte de contrôle des cantons sur leur politique au détriment d’une politique nationale, une estimation de la surface au sol pour l’installation de panneaux solaires et d’éoliennes qui serait bien trop grande pour être acceptable et l’absence de promotion de la sobriété.

Nous avons vu que le projet de loi a été fait en tenant compte de la biodiversité. Les biotopes d’importance nationale ainsi que les réserves d’oiseaux d’eau et de migrateurs doivent rester exempts de toute construction. D’autre part, tous les projets doivent prendre en compte la biodiversité et faire l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement et le paysage et les droits de recours seront toujours possibles dans le cas d’une atteinte manifeste à l’environnement.

De plus la loi impose aux cantons de délimiter les « sites appropriés » pour les installations éoliennes et solaires. Il ne s’agira donc pas d’outrepasser le pouvoir des cantons, qui fourniront les données à la Confédération, qui fera ensuite une pesée des intérêts.

La LEne impose d’installer des panneaux photovoltaïques et/ou thermiques sur les toits et/ou les façades de tous les nouveaux bâtiments et le potentiel du solaire sur les bâtiments est estimé à entre 2.5 à 3 fois la production du nucléaire actuelle [11], [12], donc il ne devrait pas être nécessaire d’utiliser beaucoup de surface au sol pour le solaire.

Concernant les critiques spécifiquement faites aux éoliennes, nous renvoyons le lecteur au très bon article sur LinkedIn de WattEd [13] à ce sujet.

Conclusion

La Suisse est très en retard dans ses engagements à faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre pour limiter le changement climatique et vient d’ailleurs d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme pour inaction climatique [14]. Elle n’a aujourd’hui aucune alternative aux énergies renouvelables pour décarboner rapidement ses activités et son économie.

Le Conseil Fédéral à approuvé l’achat de centrales à gaz de secours à hauteur d’une puissance de 1.5 GW d’ici 2025 et il y en a déjà deux qui sont opérationnelles, d’une puissance totale d’environ 300 MW, à peu près l’équivalent d’un réacteur nucléaire de Beznau. Toutefois, indépendamment de l’aspect écologique, la situation géopolitique rend la dépendance au gaz aussi problématique qu’une dépendance à l’importation de courant de chez nos voisins de l’UE. De manière plus générale, une étude du Shift Project [15] démontre que l’Europe est sous contrainte énergétique depuis quelques années du fait de la déplétion des ressources pétrolières de tous les pays auprès desquels elle s’approvisionne et que les risques pesant sur son approvisionnement vont aller crescendo dans les années à venir.

La sobriété énergétique est une aide précieuse dans cette transition, pouvant diminuer partiellement les contraintes pesant sur le développement de la production et de la distribution d'énergie. De plus, bien qu'elle ne suffise de loin pas par elle seule à relever le défi de la transition énergétique, elle amène également des bénéfices collatéraux financiers, géopolitiques, sanitaires ou sociaux, sans prétériter outre mesure le confort.

Si le peuple refuse cette loi en votation le 9 juin prochain, notre pays pourrait se retrouver dans quelques années dans la situation absurde de devoir faire tourner ses pompes à chaleur et faire le plein de ses véhicules électriques avec du courant indigène provenant partiellement de nos centrales à gaz « de secours » fortement polluantes [16].

La transition énergétique ne pourra pas se passer d'arbitrages nous forçant à accepter des compromis pour éviter des conséquences bien plus pénalisantes aussi bien pour la nature que pour la société humaine. La loi sur l'électricité proposée ici représente une avancée importante, forte d'un large consensus. Les impacts qui en découleront semblent mineurs au regard de la gravité du problème énergétique et climatique. Par conséquent, nous recommandons de voter Oui à ce texte

Sources

[1] https://www.electrosuisse.ch/fr/lacte-modificateur

[2] https://www.uvek.admin.ch/uvek/fr/home/uvek/abstimmungen/vorlage-sichere-stromversorgung.html#507285602

[3] https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2023/2301/fr#art_3

[4] https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2023/2301/fr#art_9_a

[5] https://www.fedlex.admin.ch/eli/fga/2023/2301/fr#art_46_b  

[6] Complémentarité du photovoltaïque et de l’éolien

[7] Exemple de tarif dynamique proposé par Groupe E

[8] Fiche d’information sur la consultation, page 3 et page 6

[9] https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/69602.pdf

[10] Interconnexion du réseau électrique suisse

[11] https://digitalcollection.zhaw.ch/handle/11475/25310

[12] https://www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/actualites-et-medias/communiques-de-presse/mm-test.msg-id-74641.html

[13] Loi sur l'électricité du 9 juin : La revanche de l'éolien ?

[14] La Suisse condamnée par la CDEH

[15] https://theshiftproject.org/article/nouveau-rapport-approvisionnement-petrolier-europe/

[16] Emissions : gaz > 400 gCO2eq/kWh, photovoltaïque de 48 à 70 gCO2eq/kWh, éolien environ 28 gCO2eq/kWh. Source: KBOB / ecobau / IPB  2009/1:2022, Version 4

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